C'est connu, c'est africain, on dirait même humain, tout simplement, et ça marche bien de fois : c'est que c'est aux funérailles que l'on se réconcilie. Autrement, les obsèques d'un être cher, disparu brusquement, constituent une occasion de retrouvailles pour tous les membres de la famille, mais aussi de règlements d'éventuels conflits qui existeraient en son sein.
Et on sait que dans chaque famille, il peut avoir entre les enfants, des divergences de vues, des dissensions plus ou moins graves, voire des inimitiés si profondes qu'on croit parfois insurmontables. Ces problèmes peuvent connaître une solution définitive ou un début de solution pendant les obsèques d'un membre de la famille. Car en effet, c'est bien ici que l'être humain prend conscience de sa condition d'homme, c'est-à-dire de simple sujet dont l'existence sur terre ne tient qu'à une seule décision, celle du créateur. Ici, l'homme découvre, à la vue de cet être cher, couché, inerte, aussi puissant fut-il de son vivant, mais incapable de réagir même à une piqûre d'insectes. C'est ici que l'homme rencontre de façon brutale, la vanité de la vie, l'inutilité de l'orgueil, qui ouvre, en définitive, les portes d'un esprit disposé au pardon, à la réconciliation et à la paix.
La famille ivoirienne, c'est de notoriété, est en proie à de profondes divergences politiques, avec de nuisibles tentacules religieux, tribales ou ethniques. Le délit de patronyme, voire de religion est une réalité en Côte d'Ivoire. Chaque parti politique est adossé à une région, et fait florès dans une religion et une ethnie. De sorte que la présence d'une autre formation politique y est perçue comme une intrusion inacceptable, une alliance contre nature.
Par ailleurs, depuis le décès du premier président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, le pays a connu toutes sortes de calamités, rangées sous des vocables qui évoquent l'horreur et l'absurdité, et qui étaient étrangers au lexique des Ivoiriens. La Côte d'Ivoire a ainsi connu le coup d’État (celui de Noël 1999, et toutes les autres tentatives qui ont suivi), le charnier de Yopougon avec ses 57 morts, des crimes crapuleux (Camara Yèrèfè dit H, Bénoït Dacoury-Tabley, Téhé Emile, Jean Hélène, Guy André Kieffer, Yves Lambelin, Stéphane Frantz Di Rippel etc), des assassinats politiques (Balla Kéita, Robert Guéi et son épouse, Boga Doudou, Dagrou Loula, Daly Oblé), une rébellion armée de 2002 à 2010 pilotée par Guillaume Soro qui a fait de nombreux morts, une crise post-électorale après la présidentielle de 2010, suivie d'une guerre dont le décompte macabre, selon les chiffres officiels, s'élève à 3000 morts. Quoi d'autres ? On en oublie certainement, tant l'histoire de la Côte d'Ivoire post-Houphouët-Boigny reste marquée par une effusion de sang continue. Il faut y mettre un terme. Et ce sont les Ivoiriens, les hommes politiques en tête, qui doivent arrêter la saignée.
La mort brusque du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly le 8 juillet 2020, et dont la mémoire est unanimement saluée par l'ensemble de la classe politique, toutes tendances confondues, par les chefs d’État et chefs de gouvernement à travers le monde, n'est-elle pas une occasion de régler, enfin, le problème ivoirien ? Une occasion de mettre l'intérêt de ce pays au-dessus de tout autre intérêt politicien égoïste ? Au moment où la Côte d'Ivoire se prépare à aller à de nouvelles élections présidentielles sur fond de tension, la triste disparition de Gon Coulibaly devrait en effet ouvrir l'indispensable trêve politique au cours de laquelle tous les contentieux seront définitivement vidés, sans hypocrisie. Dans une tribune publiée dans le quotidien '' Le nouveau réveil '' du samedi 11 juillet 2020, le journaliste F. M. BALLY évoquait d'ailleurs la venue d'un '' joker '' en la personne de Tidjane Thiam '' pour débloquer la machine politique, après l'échec de la réconciliation nationale ''. '' Avec des pouvoirs affirmés, c'est sous ses auspices de Premier ministre que les exilés politiques rentreraient au pays, tous les prisonniers politiques, civils et militaires, recouvreraient la liberté et la CEI obtiendrait un nouveau toilettage. C'est donc une grande opération de sauvetage et de salut public pour des retrouvailles entre les Ivoiriens largement divisés '', écrit le journaliste. Plus que jamais, la Côte d'Ivoire a besoin de cette opération de sauvetage.
Hamadou ZIAO