C'est une lapalissade : on ne fait pas l'expérience de la mort. Et l'éminent professeur en médecine Adonis-Koffy Laurence, agrégée de néphrologie pédiatrique, chef du service néphrologie pédiatrique du CHU de Yopougon, ne pouvait que s'y faire. Tout comme son époux Koffy Elpherge Guillain et leur fils (13 ans) Koffy Emmanuel Elpherge, tragiquement arrachés à l'affection des leurs, suite à un accident de la circulation le samedi 23 mai 2020.
Émotions et indignations s'entrechoquent face à cette mort subite et brutale de la respectée professeur, sauveur des enfants malades du rein. Quelle perte énorme, devrait-on dire !
Il serait inutile, voire improductif cependant de s'arrêter sur les émotions et autres colères. Certes, la vie appartient à Dieu le créateur, qui seul détermine la destinée de chaque être humain. Mais il faut absolument situer les responsabilités dans cette tragédie afin que plus jamais cela ne se reproduise dans les mêmes circonstances effroyables. Et la responsabilité d'un être vivant dans une société est étroitement liée à ses droits et devoirs conformément aux règles qui régissent cette société. En un mot, qu'est-ce qui n'a pas marché et qui a provoqué le drame du samedi ?
Les faits, selon le communiqué du procureur de la République, établissent que le chauffard du véhicule fou était en état d'ébriété avancé après une nuit de beuverie dans un bar. Pire, il roulait à vive allure, alors qu'il ne détient pas le permis de conduire, et donc n'a aucune notion des règles en la matière. Ces deux faits suffisent à ouvrir les yeux sur les drames qui sévissent dans nos sociétés et qui ont pour nom la corruption et le laxisme.
En pleine période de la pandémie de la covid-19, et alors que la mesure de fermeture des bars est encore en vigueur, certains de ces établissements de luxure continuent leur business, piétinant ainsi les décisions du gouvernement. Qu'est-ce qui est fait de façon concrète et rigoureuse pour veiller à la stricte application des mesures restrictives ? Rien du tout ou en tout cas, pas assez pour empêcher des drames. Les chauffards du samedi 23 mai ont poussé leur irresponsabilité à aller boire dans le bar d'autres irresponsables qui, au mépris des mesures édictées, ont ouvert leur commerce. Mais en amont, le laxisme de l’État doit être pointé du doigt avec force. Prendre des décisions aussi vitales et ne pas veiller à leur respect scrupuleux, conduit inéluctablement à des conséquences déplorables. Dans cette crise sanitaire, les mesures barrières sont foulées au pied. Le port du masque bien qu'obligatoire est une vue de l'esprit. Idem pour la distanciation d'un mètre. Des Ivoiriens s'en moquent royalement. Certains y voient une attitude de frimeurs. D'autres ne croient pas en la maladie et trouvent les mesures édictées inutilement contraignantes. D'autres encore sont des abonnés au déni permanent des décisions des autorités. Ils en tirent une sorte de gloire inexplicable et qui expose parfois leur vie au danger. Dans les maquis rouverts, les lieux publics, et même les centres de dépistage de la maladie à coronavirus, c'est le règne de l'insouciance. Le pouvoir régalien devrait s'affirmer ici pour mettre de l'ordre, et avec force.
Que dire du permis de conduire en Côte d'Ivoire ? Cette licence qui autorise son titulaire à détenir la vie des autres, y compris la sienne dans la circulation routière, est souvent délivrée dans des conditions floues, soutenues par une intolérable corruption. Chaque étape du processus nécessite des frais, au point où l'argent demeure la condition première, voire la plus déterminante, pour le passage des examens (code et conduite). Pire, des détenteurs de permis de conduire n'ont jamais mis les pieds dans une auto-école. La qualité des cours dispensés dans ces établissements d'apprentissage à la conduite est souvent à caution. Là aussi, l’État, garant de la sécurité et du bien-être des citoyens, doit ouvrir l'œil et surtout agir. Le laxisme conduit à des conséquences graves, parfois irréparables. C'est bien le cas avec le drame du samedi dernier, et ce n'est pas nouveau en Côte d'Ivoire. Il faut y mettre fin, résolument.
Hamadou ZIAO