Nous sommes en Côte d'Ivoire et c'est connu. Lorsque des mesures de restriction, quelles qu'elles soient, sont prises, elles sont diversement interprétées par les Ivoiriens. Et donc appliquées à des échelles variables, si encore elles sont appliquées.
Certaines personnes y croient et s'y conforment rigoureusement. D'autres n'y croient pas du tout et mènent une sorte de campagne sournoise visant à casser le respect de ces mesures. D'autres encore croient modérément et s'adonnent à une application de jour en trompe-l’œil, et une violation de nuit. Ne parlons pas ici de ceux qui se rangent béatement derrière leur foi religieuse, et qui claironnent, à se rompre les cordes vocales, du '' Dieu est au contrôle '' ou du '' Inchallah '', jetant ainsi à la poubelle les mesures qui ont été dictées. N'oublions pas non plus ceux qui donnent dans une forme d'occultisme ou de fétichisme où ils invoquent des esprits bienveillants, et conseillent ensuite des potions magiques ou des pratiques pour le moins bizarres en vue de conjurer le sort. Que dire de cette autre catégorie ? Les fatalistes. Ceux qui disent qu'il faut bien mourir de quelque chose et qui foulent tout au pied sans vergogne dans un nihilisme inexplicable. En Côte d'Ivoire, et certainement ailleurs, il y a tout cela. Mais restons avec la situation ivoirienne, cette sorte exception dont on se gargarise bien souvent et qui est résumée dans la fameuse formule aux conséquences incalculables : « La Côte d'Ivoire est un pays béni de Dieu ».
Face à la pandémie du VIH SIDA (plus de 30 millions de morts dans le monde jusqu'en 2018, selon certaines statistiques), les mesures pour éviter cette maladie sont connues : abstinence, fidélité, préservatif. Des campagnes de sensibilisation ont été menées à outrance. Mais chacun a insidieusement développé sa ruse qu'il s'est imposée comme norme de conduite pour échapper au virus. Au cours de certaines conversations dans les coins de rues en Côte d'Ivoire, les plus courageux laissaient entendre souvent que '' le Sida n'existe pas ''. Et que ce serait une invention des '' blancs '' pour faire fonctionner l'industrie du caoutchouc (préservatifs) et autres produits pharmaceutiques, notamment les Anti rétro viraux (ARV) et autres matériels connexes entrant dans le traitement de cette maladie. Ils évoquent sur leur lancée les gros sous engloutis dans le financement des campagnes de sensibilisation, dans les ateliers de formation et la recherche. Tout un réseau de business dont le seul objectif serait de faire des profits financiers. D'autres thèses anti-mesures contre le Vih Sida faisaient valoir qu'avec un coït interrompu bien maîtrisé, les partenaires se mettraient à l'abri d'une contamination. Sans compter l'usage des mixtures, des amulettes et autres ceintures de '' sécurité '' attachées à la taille et qui protégeraient contre le virus. Résultat, des millions de morts.
Quand survient la fièvre hémorragique Ebola, les mêmes attitudes charriées par une insouciance totale et une irresponsabilité criante, surviennent, avec leur lot de commentaires surprenants. Alors qu'il était interdit de manipuler et de consommer de la viande de brousse, on entendait dire que lorsque la viande de brousse est passée par le feu et bien cuite, cela annihilait l'action du virus d'Ebola. Une sorte de licence à la consommation de cette viande, et par conséquent une plus grande exposition des contrevenants aux risques d'infection.
Il en est de même aujourd'hui pour le nouveau coronavirus (Covid 19), où '' l'exception ivoirienne '' tend à prendre le dessus, sinon à compromettre l'efficacité des mesures prises par le gouvernement. '' L'homme noir résiste au coronavirus '', '' le virus meurt sous la chaleur '', '' Çà là, c'est une affaire de blanc '', '' si tu bois du koutoukou (boisson traditionnelle) et tu manges la sauce gnangnan ( sauce locale au goût amer), tu ne peux pas être contaminé par le coronavirus '', et tutti quanti, entend-on dans les rues ivoiriennes. Pire, les dispositions à prendre, selon l'Organisation mondiale de la santé (Oms) pour éviter la contamination, notamment les rassemblements de plus de 50 personnes, les salutations, le respect de la distance de 1m entre les personnes, ne sont pas respectés. Pas plus que se laver régulièrement les mains au savon, tousser dans un mouchoir et le jeter à la poubelle, éternuer dans le creux du coude sont des consignes auxquelles nombres d'Ivoiriens demeurent encore réfractaires. Quant au respect des mesures fortes prises par le gouvernement, notamment la fermeture des lieux de loisirs (bars, boites de nuit, restaurants, maquis), la ruse l'emporte sur la responsabilité. Certains de ces établissements de luxure, où le contact étroit entre hommes est régulier, échappent au contrôle des autorités, souvent laxistes, s'ils ne bénéficient pas tout simplement d'un passe-droit, parce que propriété d'un gros bonnet de la République ou de sa maîtresse. C'est tout cela '' l'exception ivoirienne '', qui si l'on n'y prend garde, se transformera en cauchemar ivoirien. Les grandes puissances développées de ce monde sont en train de prendre des mesures drastiques et veiller à les faire strictement respecter, sans aucune complaisance. C'est pour l'heure la seule arme contre le virus. Comme l'a indiqué un observateur, la Chine qui est parvenue à bout du Coronavirus, n'a opéré aucun miracle. Elle a simplement été disciplinée et rigoureuse. Au détour d'une conversation sur la lutte contre la propagation du nouveau Coronavirus (Covid 19), un ami a lancé cette phrase pleine de sens : '' On n'y arrivera pas sans sacrifices ''. Laissons donc de côté '' l'exception ivoirienne '' et consentons ensemble les sacrifices qu'il faut pour contrer le virus, avant d'être nous-mêmes sacrifiés.
Hamadou Ziao