« Je renonce à mon poste de président ». Par cette phrase simple, qui ne tient qu'en sept mots, et prononcée le dimanche 10 novembre 2019 à la télévision nationale, le président bolivien Evo Morales a ainsi mis fin à son pouvoir à la tête de son pays. L'information a fait le tour des médias du monde. Cela démontre tout l'intérêt que suscite l'actualité dans ce pays d'Amérique du Sud, qui était confronté à une situation chaotique.
Réélu pour un quatrième mandat le 20 octobre 2019, Morales faisait face à une forte protestation des Boliviens, mêlant les populations civiles, les forces de police et l'armée qui lui demandaient d'abandonner le pouvoir. Cette pression intenable qui a duré trois semaines, a finalement eu raison de sa volonté de poursuivre ce quatrième mandat, contre vents et marées. Acculé, il a d'abord annoncé la tenue de nouvelles élections présidentielles, avant de concéder quelques heures plus tard, sa démission du poste de président de la République. Les Boliviens ont-ils eu raison de chasser leur président du pouvoir qu'il occupait depuis 2006 ? L'après Morales nous situera mieux. Pour l'heure, son départ, même si on peut considérer qu'il devrait intervenir un peu plus tôt, constitue toutefois une décision à saluer. Pour plusieurs raisons.
D'abord elle évite, sans aucun doute, à ce pays de subir des violences post-électorales aux conséquences non maîtrisables. La détermination des manifestants dans les rues en disait long sur leur farouche volonté de soumettre le régime Morales. L'exemple de l'Algérie où le président Bouteflika a démissionné le 02 avril 2019 face à la pression de la rue, du Soudan avec Omar El Béchir destitué le 11 avril, de Hong Kong avec le recul du gouvernement face aux manifestants, du Liban où le premier ministre Hariri a cédé sous la pression le 29 octobre 2019, font de la rue un puissant instrument pour infléchir des positions radicales. Evo Morales ne pouvait pas y échapper.
Ensuite, sa démission fait écho à cet adage qui dit que '' la politique est la saine appréciation des réalités du moment ''. Oui, il a bien apprécié les réalités qui s'imposaient à son pouvoir, quoique que cela soit en sa défaveur, et a réagi en conséquence pour éviter un bain de sang. Il aurait pu choisir la voie du chaos et du suicide collectif, en restant ferme sur sa décision et en ignorant les morts et autres victimes comme certains souverains l'ont déjà fait.
Enfin, cette démission devrait interpeller ces dirigeants du monde qui s'accrochent au pouvoir après une élection contestée, causant en conséquence une vague de violence.
L'année 2020 va ouvrir en effet une série d'élections pour le renouvellement des mandats présidentiels ou l'arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants. Plusieurs pays africains se préparent à affronter cette échéance fatidique. Il s'agit notamment du Togo, du Niger, du Ghana, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée, pour ne citer que ceux-là. Dans les deux derniers pays où les présidents sont à deux mandats, la possibilité ou la volonté de briguer un troisième suscite une vaste polémique au sein de la classe politique et des populations, voire des violences. En Guinée Conakry, le président Alpha Condé, soupçonné de vouloir faire un autre mandat, a déjà été confronté à de violentes manifestations de l'opposition où l'on a dénombré des morts et des blessés. Va t-il céder sur le sujet ou affronter cette frange de la population guinéenne révoltée ? On le saura très vite.
En Côte d'Ivoire, le président Alassane Ouattara ne cache pas la possibilité pour lui de rempiler en 2020. Même s'il ne l'a pas encore déclaré officiellement, l'idée de faire un autre mandat après les deux précédents est modèrement appréciée dans l'opinion publique ivoirienne. Que va t-il faire ? Il a promis de faire connaître sa décision finale trois mois au plus tard avant la présidentielle.
Dans tous les cas, la gestion des Etats africains qui ont choisi la démocratie comme mode de gouvernance, s'accommode de moins en moins avec une longévité au pouvoir. Deux mandats, ça suffit ! A ce propos d'ailleurs, début octobre 2019 à Niamey au Niger, s'est tenue une conférence internationale sur le constitutionnalisme et la consolidation de la démocratie en Afrique. A cette occasion, plusieurs anciens chefs d’État africains ont ouvertement dit leur opposition aux dirigeants du continent qui envisagent de faire plus de deux mandats successifs dans leur pays. Le président en exercice du Niger, Mahamadou Issifou, a pris l'engagement ferme de céder le pouvoir à un successeur démocratique élu en 2021. Ce sera une première dans son pays depuis son accession à l'indépendance. Les gouvernants africains doivent comprendre qu'il y a une vie après le palais présidentiel. Mais il faut savoir partir, et peut-être revenir dans la dignité et le respect. L'exemple récent d'Evo Morales devrait servir à cet effet. « Frères et sœurs, je pars pour le Mexique (pays qui lui a accordé l'asile politique). Ça me fait mal d'abandonner le pays pour des raisons politiques, mais je serai toujours attentif. Je reviendrai bientôt avec plus de force et d'énergie », a tweeté le désormais ancien président de la Bolivie. Il laisse derrière lui un pays encore divisé, certes, mais la situation aurait certainement été plus grave s'il s'accrochait au pouvoir.
Hamadou ZIAO