La profanation de l'Ahoco

Edito
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Le jeune artiste du coupé décalé, Safarel Obiang, doit certainement se poser mille et une question, peut-être même se mordre les doigts après la création de son concept '' Ahoco '' qui défraie la chronique.

La danse de ce concept n'est autre qu'une simulation de la masturbation masculine, et suscite indignation et colère. L'affaire fait en effet grand bruit dans le bouillonnant milieu du showbiz ivoirien, même si le concepteur continue de '' mousser '' comme ils le disent, à travers des prestations dans des boites de nuit et autres lieux de spectacle.

Faut-il pour autant regarder ce fait et ne pas lui adresser une réflexion profonde ?

'' L'Ahoco est un instrument de musique traditionnelle des Baoulés de Côte d'Ivoire, promu par l'artiste chanteuse ivoirienne Antoinette Konan. Il s'agit d'un simple bâton que l'on racle à l'aide d'une écorce de fruit séché et d'une coquille de noix aplatie '', renseigne Wikipedia.

A la pratique, la production du son de l'Ahoco nécessite un mouvement de va et vient avec le bâton introduit dans l'écorce de fruit séché, et un frottement de la coquille de noix aplatie sur le bâton. Les mélomanes ivoiriens découvrent cet instrument avec l'artiste Antoinette Konan et s'en délectent d'ailleurs. Sa valeur ajoutée à la musique ivoirienne et à la carrière de l'artiste était indéniable. Jusque-là, tout va bien. Mais des esprits qui n'excellent pas dans la droiture et la morale vont par la suite donner une connotation érotique au mouvement de production de son de l'Ahoco, en l'assimilant à la masturbation masculine. Cette nouvelle étiquette malsaine va dominer la conscience collective ivoirienne au point d'en faire un sujet de raillerie pour les garçons qui n'ont pas de copine et qui s'adonneraient à la masturbation.

De là part ce qu'on pourrait qualifier de profanation de l'Ahoco. Son nom évoque à partir de ce moment beaucoup plus ce plaisir sexuel individuel, que l'instrument de musique lui-même. Et c'est typique à la société ivoirienne, plus généralement au monde du showbiz où la perversité et le vice tendent malheureusement à prendre le dessus sur le talent. Sans vouloir le défendre pour son concept tout à fait ignoble et condamnable, l'artiste Safarel enfonce en réalité une porte grandement ouverte dans le showbiz ivoirien.

Dans le courant de l'année 1997, le groupe Nigui Saff révèle au grand public la danse '' Mapouka '' tirée de la culture des peuples lagunaires Abidji dans le sud du pays. Elle met en scène des jeunes filles qui remuent leurs muscles fessiers au rythme de la musique pour faire monter l'adrénaline chez les spectateurs. Cette autre valeur culturelle ivoirienne va connaître un réel succès tant au plan national qu'international. Elle va doper la carrière du groupe Nigui Saff qui recevra plusieurs distinctions, dont celle du meilleur groupe africain de musique moderne d'inspiration traditionnelle à l'édition du Kora musique awards 99. Mais là aussi, des esprits impudiques ont cru bon de profaner cette danse en y ajoutant une surdose d'érotisme frisant la pornographie pour donner naissance à la danse '' Mapouka dédja ''. Ici les danseuses ne se contentent plus de faire bouger leurs muscles fessiers, mais elles se dénudent, exposant leurs parties intimes. Les icônes de cette pratique obscènes, '' les Tueuses du Mapouka '' ont effectivement tué ce pan de la culture ivoirienne, et sont '' mortes '' avec. Il est vrai que l'érotisme et le monde des artistes font bon ménage. Plusieurs artistes de renom ont bâti leur carrière sur des gestes sensuels, des tenues sexy et même des attitudes scéniques parfois osées. Cela ne franchit pas cependant le seuil du tolérable et de la morale.

Au moment où l'Ahoco de Safarel Obiang fait couler beaucoup d'encre et de salive, il faut se poser les bonnes questions et prendre ses responsabilités. Pourquoi est-ce que ces choses arrivent aujourd'hui dans nos sociétés et quelles sont les dispositions qui sont prises pour les éviter ? En somme, qu'avons-nous fait pour ne pas que Safarel soit visité par l'idée de créer un tel concept obscène ? Quelle est notre part de responsabilité dans la dépravation de la société ? C'est ici que les autorités ivoiriennes, les structures qui gèrent le domaine de la culture, les acteurs de la société civile, les autorités coutumières et religieuses, les médias, les intellectuels et même les parents sont attendus pour l'édification d'une société attachée aux normes qu'elle s'est données. Sinon, on déplorera d'autres exemples du même type, voire plus grave.

Hamadou ZIAO