Côte d'Ivoire : Bédié, Gbagbo et Ouattara "violent" à trois le pays depuis des années

Edito
Publié le Modifié le

Dans 13 mois, le navire ivoire va encore voguer sur les eaux tumultueuses des élections. Croisons les doigts que les choses se passent bien. C'est le vœu cher à tous les Ivoiriens, dont la quiétude est par moment troublée par le souvenir des affres de la guerre post-électorale de 2010-2011, et les stigmates de cette douloureuse expédition encore perceptibles sur le navire. Et ils n'ont pas tort, puisque des signes précurseurs d'une déflagration sont encore présents, comme en 2010.

La Commission électorale indépendante (Cei) divise les acteurs politiques, comme en 2010. Une coalition de deux grands partis politiques (Pdci et Fpi) se met en place contre le parti au pouvoir, comme en 2010. Il est aussi annoncé la modification de la Constitution. On redoute l'introduction de clauses qui viendraient casser des velléités de candidature à la magistrature suprême. Sans compter la profonde division entre les acteurs politiques d'une part, et entre les Ivoiriens d'autre part, conséquence de l'échec de la réconciliation nationale qui relevait plus d'un slogan politique que d'une réalité préoccupante. Le tableau est sombre et laisse peu de chance pour une traversée tranquille en 2020.

L'image d'une traversée de la mer sur un navire fou semble fort à propos, surtout dans cette ère de migration clandestine à outrance où des jeunes, espoirs de demain, confient leur destin à des embarcations de fortune pour fuir le désespoir, la misère, le chômage, la guerre. En un mot, la mauvaise politique, donc de mauvais politiciens. Ceux qui ne pensent qu'à leurs propres intérêts, qui sont mus par la seule volonté de parvenir au pouvoir ou de le conserver une fois qu'ils y sont. Ceux qui pensent surtout à tout sauf à la santé et au bien être de la mère nourricière : la Côte d'Ivoire.

Depuis le décès du président Félix Houphouët-Boigny, l'apôtre de la paix, le pays a en effet rompu avec la tranquillité, soumis à une bataille entre ces trois leaders, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, qui se disputent à mort l'héritage du vieux. Et depuis plus de 20 ans, la politique ivoirienne se conjugue avec ces trois noms. A tour de rôle, ils s'emparent violemment du pays – depuis le décès du premier président en 1993, il n'y a pas encore eu une transition en douceur au pouvoir, aucune passation des charges entre un président sortant et son successeur – pour assouvir leur désir politique, comme dans un viol collectif.

En 1993, Henri Konan Bédié arrache le pouvoir à Alassane Ouattara dans une ambiance très tendue. Ce dernier affichait clairement ses ambitions de succession après la mort du vieux. Le leader du Pdci entreprend alors des reformes en vue de corser la loi électorale pour freiner ses adversaires politiques. Pour y faire face, le Fpi de Laurent Gbagbo et le Rdr d'Alassane Ouattara s'allient et créent le Front républicain contre le régime Bédié pour réclamer des conditions d'élections démocratiques. Le Front républicain ne résistera pas à l'épreuve des ambitions personnelles.

Le 24 décembre 1999, le président Bédié est déchu du pouvoir par un coup d’État, le tout premier de l'histoire de la Côte d'Ivoire, conduit par le général Gueï et des jeunes militaires. Salué par la majorité des Ivoiriens qui y voyaient une sorte de délivrance, ce cadeau de Noël envoyé par les '' jeunes gens '' sera brisé par les ambitions politiques des grands. Il s'ouvre alors un cycle de violences qui part de l'élimination d’éléments gênants, d'adversaires politiques à de nombreuses tentatives de coup d’État manqué. En 2000, l'élection présidentielle qui oppose alors le général Gueï, chef de la junte militaire au pouvoir, à Laurent Gbagbo, candidat du Fpi, finit dans le sang. Gueï est chassé du pouvoir par la rue, et Gbagbo s'installe au palais dans des '' conditions calamiteuses ''.

Deux ans plus tard, soit en 2002, une sanglante tentative de coup d’État échoue dans la nuit du 19 septembre. Elle se mue en une rébellion qui se retranche dans la seconde moitié du pays que dirige Guillaume Soro, l'ancien leader de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (Fesci). Dans la foulée, de nombreuses personnalités politiques et militaires, dont le général Robert Gueï, sont tuées. Pendant 10 ans de règne, le pouvoir Gbagbo devra faire face aux exigences et autres desiderata de la rébellion de Guillaume Soro, mais aussi à la machine de la coalition Houphouëtiste (Rhdp) créée le 18 mai 2005 à Paris. Les ennemis d'hier, Bédié et Ouattara, ainsi que d'autres partis politiques coalisent alors pour chasser Gbagbo du pouvoir. L'échéance de 2010 est non négociable. On croyait alors la fin du calvaire pour la Côte d'Ivoire. D'autant plus que les trois poids lourds de la politique ivoirienne, Bédié, Gbagbo, Ouattara, allaient se mesurer dans les urnes et on saura définitivement qui pèse quoi. Mais cette présidentielle va déboucher sur une guerre sanglante, avec à la clé 3000 morts officiellement déclarés. 10 ans plus tard, ces trois grands sont encore dans l'arène, prêts à en découdre, à régler leurs vieux comptes du passé, et au détriment de la Côte d'Ivoire. D'un côté, on a le Rhdp du président Alassane Ouattara, et de l'autre, la coalition pilotée par son ex-allié Henri Konan Bédié avec son prédécesseur Laurent Gbagbo. Que nous réservent-ils pour 2020 ? A quand la fin de ce viol à trois ? On s'interroge et on prie qu'Allah lui-même y mette fin.

Hamadou ZIAO