L'image est forte et elle ne passe pas inaperçue. En tout cas, pas pour l'observateur averti des différents évènements qui jalonnent le décès brusque et brutal de l'artiste Arafat Dj le 12 août 2019, jusqu'à son inhumation grandiose le samedi 31 août dernier.
On y voit le tout puissant ministre ivoirien de la Défense, Hamed Bakayoko, au Garde à vous (posture immobile d'un militaire pour écouter un avis ou un commandement hiérarchique à exécuter). Le ministre est face à la chapelle ardente de son '' fils '' DJ Arafat. Une photo de l'artiste, arborant une tenue de commandant militaire y trône majestueusement. « Papa Hamed Bakayoko », comme l'appelait affectueusement son fils '' Yorobo '' est dans cette position pour saluer sa mémoire. Mais on aurait dit que le '' Daishikan '', le grand prêtre, donnait des instructions ou transmettait des messages au ministre. Toute une symbolique qu'il convient cependant de décrypter et ressortir tous ces messages que l'artiste envoie à travers sa mort inattendue.
Il est en effet de notoriété que Dj Arafat était le porte-voix, le repère de toute cette jeunesse livrée à elle-même dans les rues, frappée par le chômage ou le manque d'emplois, menacée par la drogue, la prostitution, la pédophilie, la migration clandestine, si les difficultés de la vie ne la transforment pas en '' microbes '', braqueurs, coupeurs de route ou encore en brouteurs. Une jeunesse rejetée par le système, qui ne croit plus en l'avenir et, par conséquent, qui vit à fond les instants présents sans penser au lendemain. Cette jeunesse dont la situation s'aggrave avec le coup d’État de 2002, vite mué en rébellion, et qui ne s'est pas améliorée avec les nombreuses années de crises que le pays a traversées. Cette jeunesse coupée de son avenir, décalée dans la société, avait trouvé en lui un modèle, une consolation, une sorte de catharsis contre toute l'amertume que les problèmes du quotidien lui ont fait avaler.
Dj Arafat était-il cependant le bon modèle ou le mauvais exemple ? Le débat n'est pas épuisé. Mais en définitive, il faut le dire, il est le symbole du self made man. Celui qui se retrouve seul dans un monde sans pitié, et qui doit se battre par ses propres moyens, bons ou mauvais, pour réussir. Dieu sait si la rue ivoirienne compte ce genre de jeunes qui éditent leur propre code et leur propre norme.
Il est aussi le reflet de l'échec des autorités étatiques à garantir un avenir à la jeunesse. Sa mort est donc un message aux gouvernants, ceux qui ont la responsabilité de diriger la société afin qu'ils mettent la jeunesse au cœur de toutes leurs actions, et que le désespoir ne l'expose plus aux fléaux que nous déplorons dans la société. Il est en effet des situations dramatiques qui éclairent mieux sur des drames plus graves.
En plus de la mort d'Arafat, la profanation de sa tombe et les actes de vandalisme qui ont suivi, sont des signes que la société ivoirienne va mal. Très mal. Il faut juste l'admettre et y faire face de façon rigoureuse. En la matière, la création d'emplois, l'égalité des chances à l'éducation et la formation, l'accès aux soins de santé, la prise en charge de ces enfants dits de la rue, ces gnambros, ces microbes ne doivent plus être des slogans, mais des réalités. Quand la rue éduque un enfant, il n'écoute que la rue. En mourant dans la fleur de l'âge (33 ans), Arafat transmet ce message à son '' père '' le ministre Hambak et à l'ensemble du gouvernement, afin qu'ils veillent à l'édification d'une nation en laquelle les jeunes croient.
Arafat envoie également un message aux parents. Sa mort dévoile surtout leur responsabilité première dans l'éducation de leurs enfants jusqu'à l'âge de la majorité. Quand on voit le nombre de jeunes, voire des enfants qui traînent dans les rues à Abidjan, à demander de l'argent aux passants, des filles mineures qui longent certaines artères de la capitale à vendre leurs charmes et proposer des services sexuels, on se demande qui sont leurs parents et que font-ils ? Il est donc temps d'ouvrir les yeux et que chacun assume ses responsabilités. C'est ce que semblent nous dire Arafat Dj et ses milliers de '' Chinois ''. A défaut, on assistera à une dramatique inversion des normes et une décadence de la société.
Hamadou ZIAO