Ils ont tué l'étoile Arafat

Edito
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Il faut bien croire que ce jeune artiste de 33 ans, Ange Didier Houon alias Dj Arafat, avait quelque chose de spécial que le monde entier découvre, hélas, après sa mort brutale le 12 août 2019, suite à un accident de moto : une aura quelque peu démesurée, disons à nulle autre pareille dans l'univers des artistes ivoiriens. Comme on le dit dans bien de sociétés africaines, « son étoile est très forte ».

De mémoire, jamais un artiste n'avait autant bénéficié d'hommage et d'attention. Les multiples messages à travers le monde, les incessants défilés à son domicile pour la présentation des condoléances et le soutien à sa famille, les rassemblements ininterrompus et les veillées de ses fans, '' les Chinois '' sur le lieu de l'accident depuis le jour du drame - ce qui a d'ailleurs forcé les autorités à fermer cette rue à la circulation-, l'obtention du Stade Félix Houphouët Boigny pour les obsèques de Dj Arafat et la réouverture exceptionnelle du cimetière de Williamsville, qui avait pourtant été fermé pour travaux, afin d'abriter son repos éternel. Autant de faits, et bien d'autres encore notamment la proposition d'un musée Dj Arafat, l'adressage de la rue du drame en son nom, qui achèvent de convaincre de l'influence de '' L'influenmento, le Beerus Sama, le Zeus d'Afrique, le Daishinkan '' pour ne citer que ces quelques surnoms tirés parmi la longue série d'appellations qu'il s'était attribuées.

Il était en effet influent, son étoile brillait de mille feux, mais on refusait de le voir. Pis, tout était mis en œuvre pour l'éteindre. Avant sa mort, il était le dangereux bad boy du coupé décalé, l'insulteur public, l'abonné aux clashs et aux frasques sans limite, le frappeur de femmes et d'enfants, le bagarreur, le piètre artiste qui ne faisait que du bruit. Ses nombreux trophées, les Koras, les Kundé, les Awards, ses featurings avec des artistes de renommée mondiale, n'ont nullement alerté sur son talent. Finalement, il était l'ennemi de tous, celui qu'il fallait absolument soumettre. Et finalement, ils ont réussi à le soumettre, ils l'ont tué.

Arafat n'avait de cesse d'attirer l'attention sur le fait qu'on veut le tuer. La dernière vidéo (8mn42) qu'il a publiée le samedi 10 août 2019 sur les réseaux sociaux, avec un ton de supplication à peine voilée, laissait clairement transparaître tout le mal et l'amertume qu'il tentait bien souvent de cacher par sa bonne humeur. La vidéo commence par une musique plutôt mélancolique, il y affiche une mine triste. Il annonce son dernier concert qu'il qualifie de '' jour du massacre '' à Treichville, '' l'apothéose '', assure t-il. Il en profite pour dénoncer le boycottage de sa tournée, la conspiration dont il est victime. Il indique que ces affiches sont déchirées à travers Abidjan, on lui refuse les panneaux d'affichage, les tickets de ses concerts ne sont pas distribués comme il se doit dans les lieux traditionnels de vente, les sponsors lui ont tourné le dos, des chaînes de radio et de télévision refuseraient de passer ses annonces et ses clips. L'artiste était donc seul, avec ses chinois, dans le creux de la vague. Il faisait face à l'infernale machine de l'industrie musicale qui avait décidé de le broyer. Il n'avait alors de refuge que sur les réseaux sociaux où il communiait avec ses fans, et pleurait son mal. Il s'accrochait à son hobby favori, la moto avec ses amis qui partagent cette passion avec lui, à son studio pour cracher son amertume dans ses enregistrements, mais aussi, et c'est connu, à l'alcool pour noyer les soucis. Dans un tel état d'esprit où il amorce un déclin irréversible, l'artiste devient une proie facile. Il perd le contrôle de lui même, il sombre dans la dépression ou il est dominé par une de ses passions qui finit par l'emporter. Il faut le dire tout net, l'environnement ainsi créé autour de Dj Arafat aura fortement contribué à sa mort. On ne saurait évidemment passer outre la responsabilité de l'artiste lui même, dans le drame qui est survenu. Conduire une puissante moto, à vive allure, en wheeling (conduite de la moto uniquement sur la roue arrière), sans casque ni combinaison, comporte indiscutablement des risques mortels. Le pire est arrivé hélas.

Et maintenant ? Il faut tirer toutes les leçons de cette tragédie qui frappe la Côte d'Ivoire toute entière, et même au-delà. D'abord dans le milieu du showbiz, cette mort devrait amener à une réelle prise de conscience et une grande solidarité. La méchanceté et l'hypocrisie doivent être abandonnées dans ce milieu, pour laisser la place au seul talent de s'exprimer. Les mélomanes en seront les juges impitoyables.

Au niveau des autorités, il faut que la réglementation rigoureuse de la conduite de la moto soit de mise en Côte d'Ivoire. Pas seulement à cause de la communauté de motards à laquelle appartenait Dj Arafat. Elle ne mettra certainement pas fin à cette passion avec la mort de l'artiste. Mais aussi pour tous ceux qui possèdent des motocyclettes. On le sait, ces engins à deux roues sont très prisés dans les régions du nord. De nombreux accidents, soldés souvent par des morts, ont été déplorés notamment dans les villes de Korhogo et de Bouaké, devenues des cités de la moto à la faveur de la crise politico-militaire de 2002 qui s'est vite muée en rébellion. Abidjan commence d'ailleurs à enregistrer un nombre de plus en plus croissant de motos dans ses rues. Il faut donc rendre hommage à Dj Arafat, Ange Didier Houon, qui ouvre les yeux sur ces différents faits qui nous pendaient au nez, mais que nous refusions de voir. Arafat est parti, mais des Arafats, il en existe. Il faut tout simplement faire en sorte que ce qui l'a tué, ne tue pas d'autres. On lui rendra ainsi le plus grand hommage.

Hamadou ZIAO