Bonjour 2020 ! Peur et pleurs des Ivoiriens !

Edito
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Le peuple de Côte d’Ivoire, en 2019, du moins celui proche de Laurent Gbagbo, s’est réveillé dans l’allégresse et la jubilation d’une année pleine de bonheur et de belles promesses, quant au retour de son champion, suite à l’annonce de l’acquittement prononcé le 15 janvier, par le juge Cuno Tarfusser, de l’ancien chef de l’État. L’ex-président de Côte d’Ivoire et son homme de main, Charles Blé Goudé, ont été blanchis de toutes les charges de crimes contre l'humanité prétendument perpétrés en Côte d'Ivoire en 2010 et 2011.

La Côte d’Ivoire, dans son ensemble, en cette fin d’année 2019, va se coucher, dans l’anxiété, la peine et la peur. Elle va entrer en 2020, dans une émotion pénible… Car, le sentiment d’un vilain coup, notamment un pronunciamento, hante tout le monde, à commencer par le chef suprême des armées. Qui accuse Guillaume Soro de vouloir le renverser. Une vive inquiétude due à un malaise généralisé s’est donc légitimement emparée du pays. En cause, la guerre déclarée et sans merci entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro, le président démissionnaire de l’Assemblée nationale. Celui-ci s’était pré-positionné dans le fauteuil de dauphin, avant de se brûler les ailes, tel Icare, en décidant de désobéir aux conseils et ordres de son « père ». Il se retrouve aujourd’hui puni.   Depuis le 23 décembre 2019, début des hostilités, la température monte, monte et la psychose enfle. Sans jouer les oiseaux de mauvais augure, tous les ingrédients d’une explosion semblent se mettre en place. Du coup, deux questions reviennent. Qui de Soro et de Ouattara l’emportera ? Que nous réserve l’année 2020 ? Ces questions, Ivoiriens et amis de la Côte d’Ivoire se les posent, au lever du jour, comme au coucher du soleil… tant la météo devient de plus en plus exécrable. Après le mandat d’arrêt international qui le vise désormais, et à la saisie de ses biens, Guillaume Soro, depuis son exil européen, annonce qu’il va organiser « la résistance comme le général de Gaulle l’a fait depuis Londres », en référence à l’occupation nazi de la France dans les années 1940. Tout un symbole…

Quant au chef de l’État, il martèle que « la loi sera appliquée intégralement à tous les citoyens, quel que soit le lieu où ils résident en dehors de la Côte d’Ivoire ». D’ores et déjà, l’ancien chef de l’aile civile de la rébellion de 2002 (dont il attribue le parrainage à Ouattara), a entamé de déconstruire le mythe de son ancien allié. La Côte d’Ivoire retient donc son souffle.

Outre la guerre Ouattara-Soro, 2020 est porteuse de germes explosifs. Le processus électoral étant déjà « virussé », selon l’opposition et une partie de la société civile. Principale pomme de discorde et qui apparaît déjà comme le détonateur d’une probable crise post-électorale, la Commission électorale indépendante (Cei). Une Cei, dont la composition est recusée par l’opposition parce que jugée « otage » du parti au pouvoir, le Rhdp, et à la botte de son président Alassane Ouattara. Lequel n’a pas encore dévoilé son intention de briguer ou non un 3e mandat. Mais, les signaux qu’il envoie, d’abord depuis Dimbokro, puis à Katiola, lors de ses dernières visites d’État dans ces deux régions, sont assez démonstratifs. Mais, en homme politique averti, il continue de sonder le terrain, même s’il est convaincu que l’opposition ivoirienne est globalement et foncièrement opposée à cette candidature.

Les Ivoiriens scrutent donc l’horizon brumeux d’un pays abonné à des scrutins présidentiels catastrophiques. Pour la prochaine présidentielle d’octobre 2020, il y a, de l’avis général des observateurs, des « chances » que la Côte d’Ivoire connaisse une consultation problématique. Du fait de l’absence d’un consensus autour de l’organe en charge de l’organisation du scrutin. Les Ivoiriens entrent dans une nouvelle année avec la peur au ventre. Cette atmosphère rappelle la lourde ambiance qui avait précédé les élections de 2010, qui se sont soldées, officiellement, par 3000 morts. Si nous jetons un regard dans le rétroviseur pour voir le parcours réalisé en 2019, précisément sur le plan politique, nous ne pouvons avoir que de la frayeur, tant les événements et autres déclarations ne sont guère rassurants. Rupture brutale entre Guillaume Soro et Alassane Ouattara d’un côté et divorce avec fracas entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara de l’autre. La paix et la stabilité du pays sont menacées et les Ivoiriens sont envahis d’anxiété.

Si l’on peut applaudir le chef de l’État, des deux mains, dans la mise en œuvre de sa politique de développement du pays, Alassane Ouattara concentre sur lui, des critiques acerbes, sur le terrain du social. Il faut le dire tout net. L’arbre ne doit pas cacher la forêt. Les attentes sur la question de la réconciliation nationale restent, à ce jour, la grande déception. La lettre des avocats de l’Etat de Côte d’Ivoire adressée à la Cour pénale internationale (Cpi) pour lui demander de maintenir Laurent Gbagbo et Blé Goudé, est une énorme gaffe politique… Même si le président de la République soutient que c’est une « initiative des avocats du gouvernement », des Ivoiriens objectent, pour lui demander pourquoi il n’a rien fait pour dénoncer la procédure afin de stopper celle-ci.

L’année 2019 n’a pas répondu à toutes les attentes des Ivoiriens. La Couverture maladie universelle (Cmu), imposée aux populations, soulève un mécontentement presque généralisé. Le coma dans lequel est plongée la Banque de l’Habitat (Bhci), avec des milliers d’emplois en péril ; la condamnation dans des conditions décriées de Mangoua Jacques, vice-président du Pdci, président du Conseil régional de Gbékê ; la récente arrestation de cinq députés proches de Guillaume Soro sans que leur immunité ne soit levée ; l’interdiction des manifestations publiques des partis politiques légalement constitués… sont là, des signes d’une santé précaire de la démocratie ivoirienne. L’attaque de la brigade de gendarmerie de Guiglo ; les affrontements meurtriers intercommunautaires, impliquant Malinké et populations autochtones, notamment à Béoumi (16 morts, une centaine de blessés, 300 déplacés), à Bin-Houyé (un mort, plusieurs blessés, des dégâts matériels), à Agboville (plusieurs blessés et d’importants dégâts matériels), sont également des signes de la fragilité de la cohésion sociale.

Il y a 9 ans, la Côte d’Ivoire a traversé cinq mois de violence, marqués par des crimes commis par les deux camps, lors d’un conflit aux ressorts politiques et parfois ethniques et religieux. La réconciliation se fait toujours attendre et de nombreux réfugiés et exilés traînent les pas à revenir au bercail. C’est à ce niveau qu’il faut, non pas sonner l’alarme, mais interpeller directement les tenants du pouvoir d’État, sur leur responsabilité quant à la sauvegarde d’un climat de paix et de stabilité. Le gouvernement doit prendre conscience que sa raison d’être réside, essentiellement, dans sa capacité à trouver des solutions aux problèmes des populations. Il a donné le sentiment d’avoir montré ses limites face à la question des orpailleurs clandestins, face à la vie chère, l’insécurité...

Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, une partie des Ivoiriens pleure l’absence d’une réconciliation vraie. Une grande partie de la population continue de pleurer. Quelles solutions ? Elle pleure pour la question de l’insécurité. Elle grogne pour le manque d’infrastructures, notamment sanitaires et scolaires, elle pleure pour réclamer une justice équitable, elle pleure pour un logement accessible et décent…

Au Nord, notamment, les populations pleurent la mévente de l’anacarde, à l’Ouest, à l’Est, dans le Sud-Ouest, elles pleurent la mévente de l’hévéa, du cacao. La liste est longue. 2020 va-t-elle apporter un début de solutions ? C’est tout notre vœu. Bonne et heureuse année 2020 à toutes et à tous ! En tout état de cause, nous profitons de ces lignes pour remercier nos lecteurs et annonceurs, de leur fidélité pour l’intérêt qu’ils portent aux publications du Groupe Olympe. N'hésitez pas à nous faire part de vos remarques, elles sont toujours les bienvenues pour améliorer notre contenu.

COULIBALY Vamara