La Côte d'Ivoire vient de célébrer le 15 novembre 2018, pour la 22ème fois, la Journée nationale de la Paix. Parallèlement à la Journée internationale de la Paix décrétée par l'Onu et célébrée chaque année, le 21 septembre, dans le monde entier, les Ivoiriens ont leur journée spécialement dédiée.
Instituée en 1996 par le décret n°96-205 du 7 mars 1996, la date du 15 novembre a été ajoutée depuis lors au calendrier des jours fériés, chômés et payés. Quand Henri Konan Bédié, prenait l'initiative de cette journée, le président de la République d'alors, qu'il était, espérait rétablir l'ordre dans le pays qui sortait à peine des marches et autres agitations du boycott actif du Front Républicain (opposition coalisée, Fpi et Rdr) ayant précédé sa réélection en octobre 1995. Le dauphin constitutionnel de feu Felix Houphouët-Boigny, qui a réussi à s'imposer en 1993, suite au décès du Père de la nation ivoirienne, aura entrepris sans doute de marcher dans les pas de son illustre prédécesseur. Le surnommé l'Apôtre du Dialogue et de la Paix.
Ainsi, chaque 15 novembre devrait être pour l'ensemble des Ivoiriens, en particulier pour la classe politique toujours divisée, l'occasion de marquer un coup d'arrêt pour méditer sur la conduite du pays et la responsabilité qui incombe aux uns et aux autres de préserver un climat apaisé, un environnement stable.
Malheureusement, 22 ans après, que n'a-t-on pas enregistré de crises en Côte d'Ivoire? On aura tout vu et tout vécu. A commencer par le coup d'Etat de 1999 qui a emporté le signataire du décret du 7 mars 1996. Puis l'avènement au pouvoir dans des conditions dit-il calamiteuse de l'opposant historique d'Houphouët-Boigny, Laurent Gbagbo. Ensuite, la rébellion armée du 19 septembre 2002, qui va perdurer presqu'une décennie avec tous les soubresauts et son lot de victimes et de disparus, jusqu'à sa fin apocalyptique au terme de laquelle le décompte macabre aura chiffré 3000 morts. Quid de l'avènement du régime Ouattara qui, sous la houlette de la coalition du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et pour la Paix (Rhdp) pendant ces sept dernières années, n'a toujours pas réussi à restaurer la stabilité et le calme!
Les Houphouëtistes au pouvoir, il ne restait plus qu'à espérer mieux que la philosophie du maître triomphe dans les actes. De son vivant, Houphouët-Boigny a juré, la main sur le cœur, de ne verser le sang d'un seul Ivoirien jusqu'à sa mort. Pari tenu. Mais, combien de morts ne comptabilise-t-on pas depuis sa disparition ? « Le vrai bonheur, on ne l'apprécie que lorsqu'on l'a perdu », soutenait-il. Le Sage aura prévenu.
Même les dernières élections, de simples consultations locales, ont entraîné des morts. Le sang a coulé. Peut-être pas suffisamment ! Car, la tension continue de se raviver. On entend dire que certains se prépareraient pour la belle. A la proclamation des décisions de la Chambre administrative de la Cour suprême. Où le record de 101 dossiers déposés pour le contentieux, sur 200 communes et 31 régions, a été atteint. On aura dit que rien n'a avancé.
C'est dans ce contexte tendu que ce 15 novembre 2018 est célébré. On aurait pu dire que cette journée dédiée n'a jamaks eu de sens. En dehors du férié observé. Un simple jour de repos dont jouissent des travailleurs. A part ce break, vraisemblablement rien de concret dans le sens de l'édification ou de la magnification de la Paix pour qui emballe les populations. Très peu du reste se soucient de la particularité de ladite journée. Aucune véritable activité pour marquer les esprits ni d'action pour impacter les populations. Même au niveau des premiers dirigeants du pays.
Cette année, le gouvernement a opté pour le thème : ''La paix pour le développement harmonieux et durable de la Côte d’Ivoire''. Mais, la célébration, comme toutes les journées précédentes, a été timide et sans effet ressenti. Au delà de l'adresse du gouvernement traduite par la ministre de la Solidarité, de la Cohésion sociale et de la Lutte contre la pauvreté, Mariatou Koné, on n'a pu avoir des actes forts et voir des images fortes qui ont marqué la Journée.
Un gala sportif des jeunes des différents partis politiques, un marathon dans chaque ville de Côte d'Ivoire pour la Paix, une réception des dirigeants politiques au Palais de la présidence avec le chef de l’État, un colloque des femmes, une cérémonie d'hommage à Houphouët-Boigny, une prière œcuménique sur l'ensemble du pays, un culte spéciale à la Basilique Notre Dame de la Paix, pourquoi pas un Concerto pour la Paix, peut-être sur le campus, avec les étudiants, etc. Autant d'activités d'éclat qu'on pouvait initier pour marquer cette journée exceptionnelle. Tout ceci précédé d'actions médiatiques d'envergures pour impacter les populations et montrer à la face du monde que la Côte d'Ivoire, naguère havre de paix, travaille à restaurer cette réputation. Voir le chef de l’État faire les accolades à Henri Konan Bédié, à Affi N'guessan, Mamadou Koulibaly ou à Simone Gbagbo, ne serait-ce que pour cette journée dédiée, aurait été un témoignage fort, une preuve que les Ivoiriens veulent la Paix et sont attachés à la Paix. Ce qui donne un sens à la Journée spéciale du 15 novembre.
Un discours fort du président de la République, et non d'un simple membre du gouvernement, témoignerait de l'intérêt que l'on accorde à cette journée.
A deux ans des futures échéances présidentielles, et vue l'ambiance qui prévaut depuis les lendemains des élections locales du 13 octobre dernier, des signaux forts en cette Journée de la Paix auraient eu tous leurs sens.
Mais, le gouvernement a opté pour une opération de planting d'arbres comme action pour marquer ce 15 novembre 2018. L'initiative n'est certes pas à écarter, mais elle ne colle pas avec l'opportunité. D'autres journées existent bien dans l'année pour planter des arbres. Les Journées mondiales de la Forêt (21 mars), de l'Environnement (5 juin) ou de la Lutte contre la désertification et la sécheresse (17 juin), etc.
Bref, il faut donner un sens, et surtout, du contenu à la Journée nationale de la Paix. La Côte d'Ivoire, pays qui peine à sortir des crises successives depuis le décès d'Houphouët-Boigny, en a plus que besoin. Auquel cas, il ne reste plus qu'à abroger ce férié, chômé et payé qui n'enlève rien aux morts en cascades que l'on enregistre dans les crises sans cesse et sans effort pour les conjurer ou les éviter depuis des décennies.
Après les arbres plantés en 2018, rendez-vous en 2019 pour une autre Journée plus dédiée et meublée de façon à anticiper sur les échéances de 2020. Les élections étant devenues les pires ennemis des Ivoiriens, on y gagnerait en sensibilisation et en éducation à la culture de la Paix. Cette Paix dont tous parlent, mais que personne ne semble oeuvrer pour qu'elle soit « un comportement et non un vain mot », dixit Houphouët-Boigny.
Félix D.BONY
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