On aurait dit, comme l'adage : « Après la pluie, le beau temps ». Caricature de l'ambiance qui prévaut sur la scène politique ivoirienne ces derniers jours. A part quelques jeux de passe entre les deux tendances du Mouvement des forces d'avenir (Mfa) tiraillé entre Azoumana Moutayé et Ouattara Siaka, il y a très peu d'éclats de voix sur cette scène depuis le dernier congrès du Rdr. Rassemblement qui s'est soldé par un discours très engagé du président de la République, Alassane Ouattara, en sa qualité de président d'honneur et de mentor N°1 du parti à la case.
Le chef de l'Exécutif ivoirien, déterminé pour la mise en place du parti unifié avec le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp, coalition au pouvoir), semble avoir trouvé les mots pour mettre fin aux débats que ce projet suscitait. Alassane Ouattara a visiblement bien cerné les états d'esprit pour y adapter sa stratégie. Une stratégie que l'on pourrait fonder sur ''l'appât''.
En effet, s'il y a un verbe qui se conjugue le mieux dans le microcosme politique ivoirien, c'est bien ''manger''. Il y a quelques mois, l'ancien ministre, Cissé Bacongo, l'un des Conseillers spéciaux les plus écoutés du Palais d'Abidjan l'illustrait si bien dans une sortie, en pleine crise de l'alternance entre le Pdci et le Rdr, en août 2017. Face à des militants de son parti, il lançait à cette occasion : « Les gens se lèvent matin, midi et soir, et ils parlent d’alternance en 2020. C'est-à-dire, toi il faut te lever moi je vais m’asseoir. Bon est ce que c’est ça qu’on appelle une offre politique ? Ça ce n’est pas une offre politique (…). On est tous les deux assis, on est assis ensemble, on mange ensemble, toi-même tu manges plus que moi, tu es devenu clair, tu es devenu rond, tu brilles, tu n’as aucune charge, on te donne seulement, et tu manges. Tu manges, tu n’arrives même pas à respirer correctement, et pendant qu’on mange tu dis : ''lèves toi''. Dis-moi pourquoi je vais me lever ? Ça veut dire que tu veux manger seul ! Donc, comme tu veux manger seul, et comme moi je suis là pour le moment, je vais manger seul.... ».
Quelle image réductrice de la politique ivoirienne ? Pourtant, c'est bel et bien la réalité. Cette réalité que le président Ouattara a bien compris qu'elle peut l'aider à avancer. C'est le sens du discours que le chef de l’État a fait, à la clôture du congrès extraordinaire du Rdr, le 5 mai passé, et qui lui vaut un semblant d'accalmie sur le terrain politique présentement.
Upci, Udpci, tous attirées par le souper
Face aux tribulations au sein de la coalition au pouvoir, il n'a chercher trop loin la solution. Il a suffi que le président de la République annonce la formation « dans les prochaines semaines » d'un nouveau gouvernement Rhdp pour voir la fièvre baisser. « Nous attendons la validation de l'accord politique et du statut pour former un gouvernement de rassemblement du RHDP qui comprendra tous les partis membres du RHDP comme cela a été le cas par le passé ». Et Alassane Ouattara d'ajouter, comme pour mettre une pression sur ses alliés hésitant à embarquer dans le nouveau bateau : « Je prends acte de la décision de l'UPCI de ne pas faire partie du RHDP à la date d'aujourd'hui. C'est son droit. Ce parti ne fera pas parti du nouveau gouvernement Rhdp que j'ai l'intention de former dans les prochains jours ». Un avertissement qui a tout son poids dans la tactique du chef de l'Exécutif ivoirien. Le président brandissant un souper pour appâter d'éventuels adversaires faillible à l'appétit du ventre.
L'on sait aujourd'hui les conséquence de cette annonce sur l'Upci. Après avoir voté presqu'à l'unanimité leur non-adhésion au parti unifié, une dissidence vient de naître contre Soro Brahima, président de cette formation politique. Réunis en Bureau politique des cadres de ce parti réclament, depuis le 11 mai 2018, la démission de leur leader accusé de renier ses engagements envers le Rhdp.
Faute de voir Soro Brahima céder à cette injonction, certains cadres ont déjà choisi de le quitter. A commencer par la député, Belmonde Dogbo, suivie du professeur Tidou Sanogo, présidente de l'Université de Daloa. Sans doute, le bruit des prochaines nominations n'aura pas laissé indifférents ces dissidents. Ceux-ci préférant se mettre dans la posture idéale pour être vus et pris en compte au moment des choix. ''L'appât'' fait ses effets. Même dans le camp de Soro Brahima où on s'est ravisé en indiquant que l'Upci reste membre de la coalition Rhdp, mais ne récuse que le projet du parti unifié. Vous avez dit ''manger'' ! Qui est fou ?
Le contexte n'est pas différent au niveau de l'Udpci, formation politique de Mabri Toikeusse à laquelle le chef de l’État a nommément tendu la main dans son discours qui continue de faire ses effets. « Il est temps qu'il revienne dans la famille », avait devancé Alassane Ouattara en prélude au congrès extraordinaire de cette formation politique, qui a fini par formaliser son adhésion au projet si chère au président de la République. Ejecté du gouvernement suite aux choix qu'il avait opéré pour les législatives passées, il ne serait pas exclu que Mabri Toikeusse y revienne. Un autre débat qui fait rage à l'intérieur de l'Udpci où certains pensent qu'il a troqué sa ligne contre un poste de ministre. ''L'appât'' du chef de l’État suscite tellement d'appétit au sein du parti arc-en-ciel que des cadres attendent de voir qui sera le choix. Entre leur président, qui a plus d'une décennie de présence gouvernementale ou un autre cadre pour représenter leur famille politique.
Se taire pour ''manger'' ou espérer ''manger''
Même au Pdci-Rda, la stratégie de ''l'appât'' ne fait pas moins d'émule. Le président de ce parti, Henri Konan Bédié, préfère se taire et voir ce qui va advenir. Les cadres, pendant ce temps, se déchirent. Divisés entre les pro-Rhdp, généralement membres du gouvernement ou des personnalités à de hauts postes de l'administration, donc à la soupe décrite par Cissé Bacongo, et les inconditionnels pour l'alternance, ou la reconquête du pouvoir en 2020, prêts à toute rupture.
Pour continuer à tenir tout ce monde, dont il a forcément besoin pour terminer en beauté son mandat en cour, le président de la République tient encore, en main, un autre appât. Il s'agit de la nomination au tiers des postes de Sénat. Le chef de l’État a 33 noms à choisir pour rejoindre Jeannot Ahoussou et ses camarades à Yamousoukro. Depuis l'élection sénatoriale du 24 mars et la rentrée de cette institution le jeudi 12 avril 2018, Alassane Ouattara traîne à publier les noms des 33 nouveaux sénateurs relevant de ses prérogatives constitutionnelles. Pourtant, il se murmure qu'il s'était déjà accordé sur des noms avec Henri Konan Bédié avant la signature de l'Accord politique devant porter création du parti unifié Rhdp. Gentlemen agreement que le leader du Pdci a quasiment remis en cause, quatre jours après sa signature, en réitérant les engagements pour 2020 du parti septuagénaire. Depuis, Ouattara semble avoir plié la liste convenue et remis dans sa poche. En attendant de voir plus clair dans le jeu de dupe que lui impose son allié.
Ce silence aussi marche bien pour le Palais d'Abidjan, car cela lui permet de maintenir le calme de nombreux cadres du Pdci, voire d'autres formations de la place et de la Société civile, qui ne dédaigneraient pas un poste de sénateur dans les jours ou semaines à venir. Tous veulent ''manger''. Tous sont attirés par ''l'appât'' et se taisent pour ''manger'' ou espérer ''manger''. On n'entend plus que des recalés au buffet ou sortis de table. De gré ou de force. Aigreur ou droiture ? Jaugeons-en de l'ex-ministre Gnamien Konan, fondateur de l'Upci, et depuis fin avril, de ''La Nouvelle Côte d'Ivoire'', du maire du Plateau Akossi Bendjo, ex-Pca de la Société ivoirienne de raffinage (Sir), de Maurice Kakou Guikahué, l'homme orchestre, qui a décompté les 3000 morts durant la crise post-électorale de 2011 au Golf Hôtel, et qui se plaindrait de n'avoir récolté que des strapontins du régime actuel,....
Félix D.BONY