‘’Goumin’’ ! Ce néologisme du nouchi (argot) ivoirien traduit par le concept du « chagrin » d’amour. L’expression devenu usuelle dans le langage courant en Côte d'Ivoire convient éloquemment pour décrire ce qui se passe au sein du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et pour la Paix (Rhdp). Coalition politique au pouvoir qui affiche un visage peu reluisant en raison de l'ambiance qui prévaut entre ses membres composés initialement du Pdci, du Rdr, de l’Udpci et du Mfa. L’Alliance des Houpbouëtistes, tissée à Paris le 05 mai 2005, est bien en train de se détricoter. C'est une lapalissade de le dire. La bonne foi, qui avait animé les leaders à l'origine de cette coalition, a laissé place à l’hypocrisie politique. L'esprit du groupe n'aura duré que le temps de conquérir et d'arracher le pouvoir au redoutable adversaire de l'époque, l’opposant historique, Laurent Gbagbo, éloigné du pays et confiné dans une prison à la Haye au Pays Bas. Pour la suite, l’aventure Rhdp a tout l'air d'un vœu pieu ou du moins un fond de commerce politique où chacun n'agit que pour y tirer du meilleur dans un élan égocentrique. Depuis lors, les couacs ne manquent pas et s’enchaînent crescendo.
Première couac. Le chemin n’aura pas été long pour le premier leader sorti du bloc de ces acteurs se réclamant de la philosophie politique d’Houphouët-Boigny. Le Père-fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, qui aura laissé la réputation d’avoir été un « Apôtre de la paix », le chantre du « dialogue » pour résoudre tous les différends. Pour n’avoir pas triomphé au sein du Rhdp, ce dialogue n’a pu retenir le président-fondateur du Mouvement des Forces d’Avenir (Mfa), qui a inauguré le champ des ruptures avec l’Alliance qu'il a contribué à créer. Victime d’injustice ou d'une insatiabilité? Innocent Anaky Kobena n’a pu continuer l’aventure. Pour avoir réclamé à hue et à dia sa part du gâteau, depuis l’avènement au pouvoir de sa coalition. Le diplômé de Sciences Po Paris, activiste et signataire de la plate-forme du Rhdp, qui avait opté, à l’époque, pour une candidature unique afin de s’assurer de pouvoir « terrasser » son ancien camarades de lutte Laurent Gbagbo du pouvoir, a été débarqué, lui-même, du Rhdp, une fois l'objectif atteint. Anaky Kobena a même perdu son parti. Il n'a plus le contrôle du Mfa, échu, avec la bénédiction du pouvoir, à des ex-lieutenants à lui, qui ont poursuivi le chemin tracé avec l’Alliance. Vrai ‘’Goumin’’, comme disent les Ivoiriens pour traduire l’effet corrosif du chagrin. Lequel sera d'autant plus rageur pour l’ancien ministre des Transports que ce qu’il aura passé son temps à réclamer va échoir, sans effort, à son successeur. Le nouveau président légalement reconnu du Mfa, Azoumana Moutayé – lui aussi dans le ‘’Goumin’’ aujourd’hui face au même pouvoir – est promu ministre de la République. Anaky Kobena, isolé, est contraint à une retraite dans laquelle il se refuse de mourir. Ses lamentations et pleurs n’empêcheront pas la roue de continuer à tourner. Sans lui évidemment !
Deuxième round. La roue tourne, certes. Mais, pas sans tumulte pour autant. Car, le Rhdp, même renforcé par de nouvelles formations, notamment le PIT et l’Upci n’en a pas fini avec les frasques et les ‘’goumins’’.
Décembre 2016. Deux leaders de la coalition sont débarqués du gouvernement. Mabri Toikeusse de l'Udpci et Gnamien Konan de l'Upci ont commis le crime de se mettre au travers des décisions de Henri Konan Bédié et d’Alassane Ouaattara - considérés comme les deux leaders incontestés de l'Alliance. Ces ministres ont osé prendre naviguer à rebrousse-poil des directives du président du Pdci et surtout de son cadet du Rdr au pouvoir sur les choix des candidats aux élections législatives. Ils en ont payé le prix fort. Si Mabri Toikeusse continue de faire les yeux doux aux tenants de l'Exécutif dans l'espoir d'une nouvelle prébende, son alter ego, Gnamien Konan a préféré voler de ses propres ailes désormais. Loin du cercle de la coalition au pouvoir. Il a même abandonné ses partisans ayant choisi de demeurer dans la barque du Rhdp pour créer un nouveau mouvement politique : ''L@ Nouvelle Côte d'Ivoire'', portée sur les fonds baptismaux, le samedi 28 avril dernier. Ironie du sort, pendant que l’ancien ministre d’Alassane Ouattara faisait la sortie de ce mouvement, son successeur à la tête de l'Upci et le reste des militants organisaient un référendum qui s'est soldé par leur rupture avec le parti unifié du Rhdp. Un projet dans lequel ils s'étaient formellement engagés. L’Upci se sentirait étouffée par les grands qui décident tout et imposent dans cette Alliance. Y compris dans les débats pour l’unification qu’ils ont eu en projet. ''Goumin'' sans commentaire !
‘’Goumin - Goumin’’. Le Rhdp va-t-il définitivement imploser ? Bien malin qui saura répondre à cette interrogation. Mais, on n'est pas loin de cette implosion. Tant les divergences et les adversités sont vivaces à l'intérieur de cette coalition.
Le Pdci et le Rdr veulent forcément témoigner leur amour aux yeux du grand public. Mais, le grand sourire qu'ils s'efforcent d'arborer est loin de convaincre plus d'un sur la sincérité du mariage qu'ils se promettent. Le parti unifié qu'ils envisagent pour être encore plus forts avant les échéances de 2020, étalent le malaise profond qui les oppose. Les calculs d'intérêts au sein de ces deux formations phares ruinant tout espoir d'aboutissement de ce projet. Henri Konan Bédié et ses partisans réclament le fauteuil par une alternance en 2020. Tandis qu'Alassane Ouattara et ses hommes, au Rdr, mûrissent l'idée de s'accrocher et de continuer à « manger » (l’expression est de l’un des cadres du parti au pouvoir, le ministre Cissé Bacongo). Des positions diamétralement opposées.
Le hic, c'est que chacun sait que le mariage ne peut aboutir. Tant, les conjoints affichent leurs différences. Mais, chacun y va de sa foi. Très incertaine. Mu uniquement par sa stratégie à peine voilée pour duper l'allié-adversaire. On va jusqu'à faire des yeux doux, parfois, à d'anciens adversaires communs. Laissant entrevoir des possibilités de nouvelles fiançailles. Tandis qu'à l'intérieur, l'autre conjoint, continue de mettre la pression. Comme pour montrer toute sa bonne foi. Ruses, farces et malices. Tout y passe. Comme le fameux « boulanger enfarineur » que d'aucuns dénonçaient autrefois. Du vrai ‘’Goumin Goumin’’. Un ''double chagrin'' que s’infligent réciproquement, le Rdr, qui doute de la sincérité de son principal allié, le Pdci-Rda, dont le président a réaffirmé, 4 jours après avoir signé et justifié l’Accord politique portant création du parti unifié, la longévité de l'héritage qu'il a reçu de feu Félix Houphouët-Boigny. C'est clair, Henri Konan Bédié et les siens n'espèrent plus rien du Rdr en ce qui concerne la passe qu'ils réclament, après avoir renoncé à avoir un candidat au profit d'Alassane Ouattara réélu en 2015.
Trempés dans ce jeu de ping-pong, les deux alliés entretiennent cette atmosphère délétère qui plongent toute la Côte d'Ivoire dans l'incertitude. L'incertitude sur l'ambiance de 2020. Beaucoup ayant encore en témoignage ce que valent les inimitiés entre ces ''disciples'' indisciplinés sur les principes de leur mentor. Vous avez dit ''Goumin – Goumin''. Au final, tout le monde en a pour sa graine dans ce contexte malsain.
Félix D.BONY