La semaine dernière, alors qu’il accordait une interview à un confrère, Laurent Gbagbo, président du tout nouveau parti politique (Parti des peuples africains- PPA Côte d’Ivoire ) a vivement réagi sur la question de « l’obligation » de demander pardon. Remettant ainsi, au goût du jour cette thématique du pardon. Au fait, dans ce pays, qui doit demander pardon ? A qui et pour quoi? Mieux, pourquoi les Ivoiriens doivent se demander pardon.
Ces trois dernières décennies, la Côte d’Ivoire vit au rythme d’une accalmie de façade qui cache mal des rancoeurs et autres frustrations qui nourrissent des conflits ouverts quand approchèrent les joutes électorales. Un pays qui présente un visage de paix mais qui, rapidement, comme un volcan, rentre en ébullition lors des consultations électorales. Les uns trouvant l’occasion d’en découdre et de régler à l’autre ses comptes. Le sang coule à flot et les dégâts humains et matériels sont impressionnants. Puis, la tension retombe en attendant la prochaine occasion.
Le bilan global des troubles, socio politiques en 2020, qui ont subrepticement dégénéré en affrontements intercommunautaires, s'établit à 85 morts et 484 blessés. Selon le gouvernement, il y a eu 34 morts avant le scrutin, 20 le jour du vote et 31 après. Il a ajouté que 225 personnes ont été interpellées, pour des faits liés à ces actes de violence, dont 167 inculpées et 45 écrouées. Des chiffres que conteste l’opposition qui estime qu’il y a eu beaucoup plus de victimes, sans donner de précisions.
En 2010, ce sont, 3000 morts, qui ont été dénombré. Mais, combien ont perdu un parent et ou des biens le 18 septembre 2002 et les mois qui ont suivi la rébellion armée ? Difficile de le dire, avec exactitude. Il en va de même pour « le noël sombre » de 1999.
Quid des blessures morales, des traumatismes, des viols, pillages et autres traitements dégradants et inhumains subit par les populations dans les villes et les campagnes lors de ces crises devenues cycliques ? Difficile de le dire également.
Tous ont de bonnes raisons, de vrais motifs, de se plaindre. Les douleurs sont réelles dans les mémoires pour certains et dans la chaire, pour d'autres.
Le sang des victimes crie vengeance dit-on. Et, pourtant, il faut aller de l’avant. La Côte d’Ivoire a besoin d’avancer. Pour nous, la question qui mérite d’être posée aujourd’hui est celle-ci : « quel pays voulons nous léguer à nos enfants et petits enfants ? Une Côte d’Ivoire de la vengeance, du œil pour œil, dent pour dent ? Ou alors un pays qui a su rebondir, en tirant les leçons de ses échecs, politiques surtout pour relever fièrement la tête ? La réponse à ces questionnements exige une introspection individuelle et collective. Pour cela, il faut avoir le courage de se regarder droit dans les yeux, se dire la vérité, établir les responsabilités (individuelles et collectives), puis demander pardon et donner le pardon. Accepter une bonne fois pour toute de briser l’omerta, la loi du silence. On ne saurait contraindre un peuple à se taire sur ses douleurs profondes. Il importe, donc, de délier les langues pour permettre que les coeurs s’ouvrent. Tout ceci, dans un grand format à l’exemple du forum national où les Ivoiriens pourront se parler sans tabou, mais surtout se pardonner.
Il le faut, nécessairement, car par leurs actes nos "trois grands" (Gbagbo qui invoque l'obligation de demander pardon, Bedié qui vient, récemment, de nommer un conseiller spécial auprès de lui en charge de la réconciliation et enfin le Président de la République, Alassane Ouattara avec la nomination d'un ministre de la réconciliation et de la cohésion sociale nous prédisposent au pardon et nous en indiquent la voie. En retour, nous devons, tous, nous y disposer. Parce qu'à la vérité, chacun a péché certainement "en pensée et en parole" probablement "par action et par omission" et peut-être par négligence de ses devoirs et obligations quels qu'ils soient. Ainsi, naitra de cette ataraxie l'absolution du peuple qui, en réalité, est le baromètre de légitimation de nos actes. Le pardon s'impose et nous devons nous l'imposer.
Jonas BAIKEH