J'ai toujours aimé les grands rassemblements, je trouve qu'il y a quelque chose de profondément puissant à voir des êtres réunis, chanter et prier a l'unisson,
Il y a toujours de l'émotion dans une messe gospel, une manifestation de rue, un concert sous les étoiles. Je vous trouve beaux, le regard rivé vers la même direction, toutes ces bougies avec leurs flammes dansantes qui représentent notre espoir commun et tous ces cœurs qui battent pour la même cause.
C'est sublime et c'est tragique, et j'aurais préféré être aveugle que de voir tant de beauté dans des circonstances pareil.
J'aurais préféré être muette plutôt que d'avoir à lui dire adieu.
Il y a 10 ans je perdais mon père et je me rappelle avoir passé des heures à essayer d'écrire pour lui rendre hommage. Je devais écrire pour l'immortaliser et écrire pour soulager la peine de ma mère.
C'était tellement difficile de le décrire, de le qualifier, de mettre des mots sur sa personne. Ceux qui l'avaient connu savent que mon père ne se décrit pas, il s'expérimente. C'est un personnage particulièrement atypique, complètement sensationnel.
Aujourd'hui, écrire sur ma mère c'est différent, elle est si terre à terre, si profondément humaine, c'est si léger, comme une bulle de savon, que les mots se trouvent, se délient et glissent sur le papier, j'ai envie de vous parler d'elle comme on parle de lumière, d'énergie, d'espérance et d'espoir.
J'ai envie de vous parler d'elle comme on parle d'amour.
Elle, c'est un poème, c'est une ode à la vie. C'est un matin de Noël, un cerisier au printemps, la rosée du petit matin.
J'ai envie de vous parler d'elle et j'ai envie de vous parler de ce que je perds.
Avec elle s'en va les derniers fragments de mon enfance, nos parents étant les seuls gardiens de ces souvenirs. C'est eux qui nous regardent en se rappelant nos premiers pas, nos premiers mots, nos premières larmes.
Avec elle s'en va le sentiment de sécurité, nos parents sont les seuls à nous aimer inconditionnellement, c'est un amour absolu.
Avec elle s'envole mes repères, toutes mes certitudes, mon ancrage et ma raison.
Je perds la gardienne de mes secrets. Celle qui aurait tué pour moi. À raison ou à tord. Celle qui me trouvait belle en toute circonstance, celle qui savait entendre dans mes rires les sons de la petite enfance, retrouver dans mes yeux la curiosité des premiers instants, et voir en moi l'enfant, la femme, et une pointe de vulnérabilité.
Le monde est tout d'un coup si grand, si intimidant et je me sens si vide, si profondément seule, orpheline, perdue et désorientée.
Il ne sont pas là physiquement mais ils sont toujours là me dirait père Thomas.
Mais ce n'est pas suffisant mon père, je n'ai pas besoin d'un papa dans les nuages et d'une maman dans les étoiles.
J'ai besoin des bras de ma mère, du son de sa voix, de la douceur de sa peau.
Ils sont bien trop jeunes pour partir, ils avaient tant d'amour à donner, il ne se sont pas baignés dans toutes les eaux azures de la planète bleue, il y a tant d'épices, tant de saveurs encore inconnues, il y a tant de cultures à découvrir, tant de ciels orangés, à contempler, mes parents étaient des amoureux de la vie, alors pourquoi les arracher à elle aussi vite ?
Pourquoi ?
C'est la question que je me suis posée en boucle jour et nuit.
Pourquoi ?
Elle aimait cette vie profondément.
Elle croyait que l'on pouvait se transmettre de l'énergie même si un océan nous séparait.
Elle croyait au langage secret des arbres pour préserver les hommes.
Elle croyait en l'univers, aux quatre éléments, au pouvoir de la respiration, au bon Dieu, aux fréquences réajustées lorsqu'un pied nu s'enfonce dans la terre, à l'amour que l'on peut transmettre sans parler, aux chakras sacrés, à la magie que pouvait générer l'union des hommes.
Elle voulait vivre, respirer, voyager, et nous aimer pour l'éternité.
Plus la vie lui prenait et plus elle donnait.
La vie lui prend son mari et lui vole son avenir alors elle offre un avenir meilleur a ceux qui sont dans le besoin.
La vie lui brise une jambe alors l'année d'après elle atteint le sommet du Kilimanjaro.
Maman, c'est le phœnix qui renaît de ses cendres.
Quand elle ne peut plus skier alors elle marche, quand elle ne peut pas marcher alors elle nage, et quand elle ne peut plus bouger alors elle rêve.
Je me rappelle, il y a une dizaine de jours, ses yeux rivés vers la fenêtre à contempler le vert vibrant des feuilles de l'arbre qui réussissait encore à l'émouvoir. Elle me dit « regarde comme c'est beau ». Maman, allongée sur ce lit, vidée de tes forces, tu trouvais encore que la vie était belle.
Tu m'as promis que tu guérirais. Ce qu'on ne savait pas c'est que la maladie gagnait du terrain dans l'ignorance de tous mais toi tu continuais a repousser tes limites. C'était la force du mental contre celle du corps. Pour la première fois, ton mental perd la bataille.
Trois jours avant ton départ, si on m'avait dit que tu partirais, je n'y aurait pas cru un seul instant. Ni moi, ni toi, ni tout le corps médical.
Alors pourquoi ?
Les meilleurs partent en premier me direz-vous ? Non, c'est toujours insuffisant.
J'ai encore tant à vous dire, j'ai une sensation d'inachevé comme si toutes les pages du monde ne suffiraient pas pour me faire parler de ma mère.
Mais je voudrais terminer en te disant à quel point je suis reconnaissante pour les dernières nuits passées dans tes bras. Tu m'as dit de si belles choses et j'ai compris toute la dimension de ton amour. Je sais que tu n'aurais jamais voulu me quitter.
Enfin maman, je voudrais te remercier pour avoir fait rentrer Ismael dans nos vies, c'est un être de lumière et on prendra soin de lui du mieux que l'on peut.
Enfin je veux remercier ma cousine Diana qui a su porter ma mère quand mes bras n'y arrivaient plus, ma sœur Kenza pour l'avoir regardée quand mes yeux ne pouvaient plus et Dany mon mari pour m'avoir porté quand mes jambes n'y arrivaient plus. Je veux remercier ma taty Salwa qui même pétrifiée par la douleur se bat pour nous. Debout, droite, digne et impassible.
Et toutes les autres personnes qui nous ont soutenu pendant ces moments difficiles.
Je veux remercier mes amis, et ma famille pour leur soutient sans faille et leur demander de comprendre mon besoin de solitude et le silence brutal de ces derniers jours.
J'ai passé quelques jours à chercher dans mon entourage une personne à qui parler, une personne qui aurait vécu quelque chose de similaire, orpheline d'un père et d'une mère partie subitement dans la maladie. J'ai cherché en vain. Puis ça m'est venu subitement. Cette personne avec la même historie que la mienne c'est ma mère. À mon âge, elle aussi avait perdu ses deux parents. Elle qui a fait un face à face avec la mort tant de fois, n'a jamais eu les bras d'une mère dans lesquels se réfugier..
Alors maman je te demande une dernière chose, saches que vivre, respirer, dormir, sourire, et aimer m'est extrêmement douloureux. Aide moi maman, aide nous a apprendre à vivre sans toi.
Toi qui croit tellement fort à nos retrouvailles dans l'au delà, toi qui crois tellement en la puissance de nos âmes, envoies moi des signes et si je ne peux pas les recevoir communique les à ceux qui peuvent.
Je sais que tu marches dans la lumière mais nous, nous sommes dans l'obscurité totale. Eclaire-nous encore un peu, ne pars pas tout de suite.
Ne pars pas trop loin.
Aide nous à continuer a vivre.