
La journée mondiale de la lutte contre la lèpre se célèbre chaque 30 janvier dans plusieurs pays du monde. En Côte d’Ivoire, le Président du directoire de la Fondation Raoul Follereau International, Oleg Ouss, a indiqué le 31 janvier 2022 à Abidjan, l’engagement de sa structure pour une "société zéro lèpre" à l’horizon 2030. Nous avons effectué un reportage dans le village Marchoux où vivaient les malades de la lèpre.
« Gnankannancy » ou Marchoux est un village situé à Bingerville au bord de la lagune ébrié, où vivaient les malades de la lèpre. Quelques années après l’éradication de cette maladie, que devient ce village qui est si éloigné de la première capitale de la Côte d'Ivoire ?
Un silence à notre arrivée
C'est un silence quasi assourdissant qui nous accueille lorsque ce vendredi 14 janvier 2022 nous arrivons à Gnankannancy. Entourée de plantation de bananeraies et de construction dédiées à l'élevage de volaille et de porcs, la petite cité reste quand même isolée des autres concessions environnantes.
Sur le chemin qui mène au village, le chant des oiseaux dans les grands arbres nous rappelle la nature tout en confirmant que ce village est épargné de toute l'agitation sonore de Bingerville. Il y règne une atmosphère paisible et propice à l'épanouissement quotidien de la communauté humaine.
À notre arrivée, notre regard est aussitôt attiré par un crucifix posé au centre du village. Ce qui symbolise bien la foi des habitants de Marchoux.

Il n’y a plus de personne vivant avec la lèpre dans ce village
Plus tard, lorsque l’équipe de reportage de Linfodrome a souhaité s'entretenir avec le chef du village, on nous conduits après quelques minutes de marche, à la modeste maison d'un homme d'environ 60 ans, un peu à la tâche, mais qui accepte de nous recevoir. Il était occupé à tisser des filets de pêche pour attraper des poissons.)
Même si la majorité des gens qu'on rencontre présente des séquelles visibles de la maladie de la lèpre, il faut souligner que plus personne ne présente de cas de lèpre dans ce village.
Né de parents lépreux, Louis Leroy, chef du village de Marchoux, nous relate l’histoire de ce village, tout en réparant ses filets de pêche.
Sur près de 400 personnes atteintes de la lèpre, aujourd'hui il ne reste que 5 séquellaires
« Par le passé, cet endroit était la leproserie. C'est devenu ensuite le village Marchoux, puisque les personnes qui y résidaient, près de 400 personnes, étaient atteintes de la lèpre. Aujourd'hui, il ne reste que 5 séquellaires, c'est-à-dire des personnes guéries mais qui présentent encore des séquelles », a indiqué le chef du village Leroy, soulignant que toutes les personnes qui habitent ce village (300 âmes réparties en 52 familles) sont nées de parents lépreux.
L’histoire du village Marchoux
Pour la petite histoire, les lépreux habitaient sur une île éloignée de la commune de Bingerville. En 1930, lorsque Raoul Follereau, fondateur de l’association en charge des malades de la lèpre et de l’ulcère de Buruli, est passé en Côte d’Ivoire, il a fait venir l'émissaire Marchoux pour les faire envoyer sur la terre ferme. Cette terre ferme portait le nom de « léproserie de Bingerville ». « Aujourd’hui, c'est devenu Gnankannancy village Marchoux. Étant donné que ça été refait par des religieux.
La Lèpre, une maladie contagieuse éradiquée, il y a 20 ans
La lèpre est une maladie handicapante contagieuse qui se transmet par des gouttelettes d’origine nasale lors des contacts étroits avec des personnes infectées et non traitées. Elle ronge les bras et les pieds. En 1998, le ministre Eugène Kacou Guikahué, ministre de la Santé d’alors, a indiqué qu’avec l’avancée de la médecine on a réussi à trouver des médicaments contre la lèpre. La maladie se guérie maintenant en six mois ou en une année de traitement.
Nous sommes restés avec nos parents
Dans le village Marchoux, les personnes ayant vécu avec la maladie et qui ont été guéries, par la suite, sont soit rentrées en famille ou ont préféré rester dans le village.
« Quand tu vis dans un endroit où tu te sens à ton aise, tu n'as plus envie d'aller ailleurs. Lorsque je suis né, c'est ma grand-mère qui venait dans le village pour assister sa fille qui n’était rien d’autre que ma mère. Nous sommes restés dans le village avec nos parents. Au fil des années, nos parents sont morts, et nous sommes devenus des orphelins. Nous sommes restés dans le village, sans famille », a expliqué Louis Leroy.

Nguetta, la soixantaine révolue, originaire de Prikro n'est plus retournée, non plus, dans son village à cause de cette maladie. Elle a élu domicile dans ce village. Elle fait partie des cinq personnes séquellaires qui sont encore dans ce lieu.
«J'ai toujours des saignements. On ne nous donne plus des médicaments, mais plutôt des ordonnances», explique-t-elle.
Village habité par quelques ressortissants de la Cedeao
Par ailleurs, ce village est habité par des ressortissants des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), notamment des Burkinabè et des maliens.
« Quand ces ressortissants de la Cedeao viennent dans le village et qu’ils contractent la lèpre, ils ne peuvent plus retourner chez eux. Certains ne connaissent même pas leur village. Ils sont délaissés par leur famille », a expliqué le chef du village qui a rappelé que les ethnies les plus parlées dans le village sont «l’agni, le baoulé et le malinké ».
De 120 000 malades de la lèpre en 1960, la Côte d’Ivoire enregistre 557 malades en soin en 2019
A l’occasion de la célébration officielle de la 67è Journée mondiale de la lutte contre la lèpre, le 29 février 2020, le ministre de la Santé, Aka Aouélé, a indiqué que le nombre de malades de la lèpre en Côte d’Ivoire est passé de 120 000 en 1960 à 557 en traitement en 2019.
La lèpre éradiquée, mais toujours d’actualité
Selon le docteur Roger Dehe, leuprologue exerçant au centre Raoul Follereau d’Adzopé, la lèpre en Côte d’Ivoire est éradiquée depuis 2001 avec l'application de la poly chimiothérapie (qui consiste à administrer différents médicaments qui vont agir soit en tuant les cellules cancéreuses, soit en les empêchant de se multiplier). C'est-à-dire moins d'un cas pour 10000 habitants, avec 1717 cas de malades en traitement, soit un taux de prévalence de 0,92 malades pour 10000 habitants, en 2021.
La lèpre sévit sous un mode endémique en Côte d’Ivoire. Malgré une baisse substantielle de la maladie, le nombre de nouveaux cas augmente et la proportion d'infirmité de degré II est encore plus élevée.