
Connue pour ses belles plages, et les grandes industries qu’elle regorge, notamment la Société ivoirienne de raffinage (SIR), le Port autonome d’Abidjan (PAA), ou encore l’aéroport international Félix Houphouët Boigny, Port-Bouët, la commune balnéaire où la joie de vivre est perceptible à travers le train de vie de ses habitants est en proie depuis peu à un grand banditisme qui défraie la chronique. La quiétude des habitants de cette localité semble avoir disparu, laissant place à l’inquiétude et angoisse quotidienne.
Après les communes d’Abobo, d’Attécoubé et d’Adjamé, berceau du phénomène de ‘’microbes’’ à Abidjan, les enfants en conflit avec la loi communément appelé ‘’microbes’’ semblent avoir trouvé un nouveau lieu de prédilection. Des communes connues pour leurs calmes et charmes vivent désormais dans la terreur. Ces derniers temps, la commune de Port-Bouët fait face à des agressions multiples, notamment dans ses quartiers considérés comme quartiers précaires. Il s’agit notamment d’Adjouffou, Jean Folly, Gonzagueville, et d’Anani, connu pour leur surpeuplement et l’anarchie.
Dans ces quartiers, tout y est permis. La loi de la jungle règne en maître absolu. C’est une zone où la cohabitation avec les ordures ménagères et eaux usées sont de coutume. Des populations jadis dans la quiétude font fasse désormais à une nouvelle forme de banditisme né aux lendemains de la crise post-électorale. Cette commune pourrait si rien n’est fait changer d’identité en devenant la capitale des microbes à Abidjan. Elle fait les frais à ce jour de la crise socio-économique qui secoue le pays et qui a fait naitre des disparités contraignant les enfants dont l’âge varie entre neuf (09) et quinze (15) ans à s’adonner au grand banditisme.
Zone favorable aux actions des microbes
Adjouffou, Jean Folly, Gonzagueville et Anani sont en effet des quartiers caractérisés par les constructions anarchiques et l’insalubrité. Ce sont de véritables niches de pauvreté devant laquelle la puissance de l’Etat Ivoirien semble s’arrêter. Ce fait est perceptible au niveau de l’urbanisme. Des quartiers avec très peu de voies d’accès, quasiment pas de présence policière, pas d’éclairage dans la nuit. Tout se passe comme si personne ne s’occupait de cet endroit. Seule la barbarie, la violence, règne en maitre absolu. Dans cette zone, chacun y fait sa loi. La vérité est du côté de ceux qui sont les mieux nantis.
Mode opératoire des microbes
Adjouffou, il est environ 19 h lorsque nous foulons les pieds ce samedi 12 juin 2020 dans ce quartier situé dans les encablures de l’aéroport international Félix Houphouët Boigny d’Abidjan. Au carrefour dénommé premier arrêt, des jeunes gens dont l’âge varie entre neuf (09) et dix-huit (18) ans sont regroupés dans la pénombre. Ce jour-là, ils discutent d’un match de football de l’Euro 2021. Pour s’imposer, chacun tente aux mieux de parler à haute voix.
A première vue, ils sont inoffensifs. Vêtus pour la plupart d’un tee-shirt et d’un pantalon jeans, leurs apparences reflètent celles des enfants sages, bien éduqués même s’ils s’expriment dans un français assez peu accessible pour le citoyen lambda. En effet, la jeunesse de ce quartier s’exprime en ‘’nouci’’, une langue prônée dans ce milieu et qui est un mélange de français classique, des langues du terroir Ivoirien et des expressions crées pour la circonstance. Dès le stationnement des véhicules, un silence de cimetière prend le dessus. Un moment très décisif pour ces jeunes gens à la recherche de gain facile. Dès lors, les stratégies d’attaques et d’opération se peaufinent sur le coup. Les premières secondes qui s’égrènent sont cruciales. C’est la phase de sélection. Ces enfants ciblent les passagers des véhicules puis s’engagent dans une véritable chasse à l’homme. Ils se dispersent dans l’obscurité puis suivent petit à petit leur cible jusqu’à isolement des autres passagers. Ces derniers sortent leurs armes blanches, constitués de larmes, de machettes et de couteaux soigneusement gardés sous les manteaux et les vêtements puis prennent à partie leur cible. Kouakou Pacôme, vigile dans une grande surface de la place en a fait les frais. D’accoutumé, le résident de ce quartier précaire vaque à ses occupations sans souci. Un soir, de retour de son travail, il sera pris à parti par ces gamins en conflit avec la loi. Dès sa descente du véhicule, il est suivi par un enfant d’environ 10 ans. Au moment de la traversée d’un couloir obscure comme c’est le cas pour toutes les artères de ce quartier précaire, il se fait interpellé par un enfant qui lui demande de lui remettre ses objets précieux, notamment son portable. Se bandant les muscles, Kouakou Pacôme croit avoir affaire à un gamin, il lui porte un coup fatal au visage. C’est là que rentre en scène les autres stationnés à l’autre bout du couloir. Il est poignardé sauvagement. Fort heureusement, il s’en remet de ses blessures. « Ce sont des drogués, des bandits ils m’ont agressé. Ils m’ont dépouillé de mon portable et de mon argent alors que je rentrais à la maison. Ils n’hésitent pas à poignarder ou à taillader les victimes récalcitrantes », se confie Kouakou pacome, visiblement très apeuré.
Des populations dans l’angoisse
Pour ce jeune vigile, situation oblige de rester dans cette zone à risque. Car avec son maigre salaire d’environ 70 milles FCFA, aucune autre possibilité ne semble s’offrir à lui. Cet endroit semble être son lieu de prédilection. Père de trois enfants en âge de scolarisation, ce chef de famille semble être désabusé par la situation d’extrême pauvreté. « Avant on vivait en paix ici. Il n’y avait pas les histoires de microbes. Mais aujourd’hui, on ne peut plus respirer. Tu passes ici microbe, tu passes là-bas microbes. On ne sait que faire pour en finir avec ce fléau qui nous a fait perdre notre tranquillité. Les autorités nous ont oubliées. C’est quand il y’a élection qu’il nous connaisse. Après les élections, c’est fini. Ils nous oublient. Ils ne font rien pour leur peuple. C’est leur ventre qui les intéresse.», se confie Kouakou Pacôme, résidant de ce quartier depuis sa naissance. Au moment de l’échange, une femme visiblement impressionné par les explications de notre interlocuteur nous interpelle. Elle se nomme Traoré Fatoumata, vendeuse de poisson au grand marché de Port-Bouët. La quarantaine révolue, Fatoumata Traoré, a été victime d’agression des enfants en conflit avec la loi au mois de décembre 2018. Habitué à prendre sa marchandise à crédit puis à payer après-vente, elle sera un soir du mois de décembre pris à partie par ces gamins, fils de Belzébul. Toute son économie va disparaitre en un clin d’œil. Environ 250. 000 FCFA emporté par ces microbes. Jusqu’à ce jour, elle porte les cicatrices de cette agression. Il aura fallu de peu pour qu’elle perde son bras droit. Dans la lutte pour la conservation de son revenu, l’un des jeunes munis d’une machette va lui trancher le bras droit. Déboussolé, elle s’en remet à Dieu. « Dieu me vengera. Ils sont maudits à vie. Ils seront malheureux et seront tués dans la rue comme un chien. J’ai voulu même me suicider après ce jour. Je ne savais que dire à mon fournisseur de poisson. J’ai dû faire une semaine à la maison avant de me remettre pour pouvoir aller emprunter de l’argent pour reprendre à zéro.», déclare Traoré Fatoumata. Puis de poursuivre : « Dès que je suis descendu du taxi, ils ont cessé de causer. Et l’un d’entre eux est venu vers moi pour m’aider à porter mon sac de riz de 25 kilo que je venais d’acheter. Ils m’ont tous suivi. Je croyais que c’était des bons enfants. Arriver dans un couloir noir. Ils vont faire sortir des couteaux pour me demander de donner tout ce que j’ai sur moi. Je les supplié mais ils ne voulaient rien savoir. Puis se sont mis à me battre. J’ai essayé de résister. C’est là que l’un deux a pris une marchette pour couper mon bras. ». En entendant, le secours divin, ces jeunes continuent leurs routes sans inquiétude créant une atmosphère délétère dans cette zone jadis paisible où il faisait bon vivre à en croire les habitants.
Après Adjouffou, le cap est mis sur le quartier Gonzagueville. Moins vieux qu’Adjouffou, Gonzagueville présente une fière allure. Ses rues sont plus larges, éclairés, avec des immeubles en construction. Cette zone pourrait être l’avenir d’une zone aéroportuaire quasiment oubliée où la construction anarchique est de mise. Ce quartier subit régulièrement des attaques répétées des ‘’microbes’’. Se faisant passer pour des sportifs, ces gamins en quête de gain facile dépouillent tous ceux qu’ils croisent sur leur chemin. A la différence des autres communes où les microbes exercent leurs activités en plein jour, dans cette zone, les heures de travail débutent à 19 h. Une heure à laquelle, la plupart des résidents sont de retour dans le quartier après le travail.
Gonzagueville est devenu, zone hostile aux forces de l’ordre eu égard à la forte concentration de jeunes désœuvrés. Quant à ceux qui tentent l’aventure, ils n’ont pas suffisamment de moyens pour faire face à cette bande de jeunes ayant à leurs arcs de nombreux crimes impunis. Le commissariat du 24ème arrondissement situé dans les environs semble être impuissant face à cette bande organisée. Tout porte à croire, que ces gamins ont la voie grandement ouverte pour continuer leur sale bésogne.
L’une des principales causes de la délinquance juvénile dans cette zone est la présence de nombreux enfants issus de familles polygamiques, monoparentales ou décomposées de foyers. Dans ces quartiers surpeuplés, il y a une inversion des rôles parents-enfants. En effet, les enfants deviennent assez vite les espoirs, car dans la majorité pourvoyeurs de revenus face à des parents qui ne gagnent pas suffisamment de revenus pour toute la famille. Ils éprouvent de la haine pour les autorités et de ceux qui ne leur donnent pas ce dont ils estiment avoir droit. D’ailleurs lorsqu’ils volent ils appellent cela ‘’encaissement’’ comme si c’était un du.
A la rue 12 de Gonzagueville, terre rouge, les agressions des microbes sont devenues monnaie courante. « Les microbes munis d’armes blanches attaquent aux environs de 19 heures les personnes qu’ils croisent sur leur chemin qui rentrent du boulot. Au mois de décembre, un septuagénaire a été poignardé à cet endroit (rue 12 de Gonzagueville Ndlr) à sa descente du gbaka et plusieurs passants ont été dépouillés de leurs biens sous les menaces des couteaux et machettes. Le vieux s’est retrouvé dans le centre de santé avec les intestins dehors.», déplore Hermane Koffi, un résidant du quartier qui indique que leur méthode d’agression repose essentiellement sur la ruse. « Ils (microbes Ndlr) miment des scènes de bagarres qui attirent autour d’eux des personnes et les agressent soudainement et atrocement avec violence, de manière brutale, sans état d’âme, sans remords.», explique Hermane Koffi, soulignant que l’ampleur du phénomène engendre un sentiment général d’impunité.
En attendant que les microbes fassent de la commune de Port-Bouët, leur fief, comme c’est le cas pour la commune d’Abobo, il serait judicieux que les autorités sécuritaires et politiques mènent des réflexions afin de trouver un antidote pour éradiquer ce phénomène qui endeuille les populations. Le souhait de cette population vivant sous le seuil de la pauvreté est de pouvoir circuler librement sans inquiétude.
Maxime KOUADIO